JE POSSÈDE UN BIEN IMMOBILIER À L’ÉTRANGER : COMMENT BIEN PLANIFIER MA SUCCESSION ?

  1. Combien faut-il établir de testaments ?
  2. Quelles sont les règles de forme applicables à la rédaction du testament ?
  3. Quelle est la législation civile applicable s’agissant de déterminer les droits des héritiers en cas d’actifs situés dans différents pays ?
  4. Le fisc est-il lié par ces principes ou chaque pays applique-t-il ses propres règles fiscales en matière d’imposition des actifs successoraux ?
  5. Existe-t-il des lois limitant l’acquisition d’un bien immobilier par un résident d’un état étranger ?
  6. Règles fiscales françaises dans le cadre d’une succession franco-suisse. 

Nombreux sont les résidents suisses à posséder des biens immobiliers en France, notamment comme résidence secondaire ; et réciproquement de nombreux résidents français sont propriétaires de biens immobiliers en Suisse, pour les avoir acquis comme résidence principale ou reçus par succession.

Ainsi lors du décès, l’inventaire des biens recensera des actifs immobiliers dans différents pays et cette réalité doit être correctement prise en compte au moment de planifier sa succession.

Sans prétendre ici traiter de façon exhaustive les conséquences d’un tel état de fait, il faut garder à l’esprit quelques règles essentielles. Il est recommandé de consulter un spécialiste qui pourra mettre en place la solution la plus adéquate, compte tenu des caractéristiques de chaque cas.

Les quelques principes énoncés ci-après ne prétendent donc pas donner d’emblée une réponse adéquate pour toutes les situations complexes qui peuvent se présenter en pratique. Cette brève présentation concerne en priorité les cas liant la France et la Suisse.

En privilégiant une première approche concise du sujet, elle ne comporte pas de citations systématiques des lois applicables respectivement dans ces deux pays. Il s’agit principalement du règlement européen sur les successions du 4 juillet 2012 et de la loi suisse sur le droit international privé du 18 décembre 1987.

1. Combien faut-il établir de testaments?

Un seul testament peut suffire pour traiter l’ensemble de la dévolution des biens ; c’est une erreur trop souvent rencontrée en pratique que de partir du principe qu’il s’agit d’établir un testament par pays, comme s’il s’agissait de préparer deux successions en parallèle. Le résultat sera que seul le dernier testament sera pris en compte pour les deux pays, malgré la volonté présumée du testateur, et avec pour conséquence que l’avant dernier testament établi restera lettre morte.

Cela dit, il est bien entendu possible d’établir plusieurs testaments dans la mesure où le testateur prend soin de préciser que le second texte complète le premier, sans l’annuler. L’enjeu est alors de bien coordonner ces deux testaments, en tenant compte de l’ensemble des actifs de la succession.

En outre, il est important de songer aux dettes éventuelles pour déterminer qui devra les assumer.

2. Quelles sont les règles de forme applicables à la rédaction du testament?

En présence d’un testament, quelle est la loi successorale qui doit être appliquée au moment de vérifier si les règles de forme ont été respectées (règles applicables à l’écriture et à la signature du testament).

L’évolution de la législation dans les pays européens a pour conséquence un assouplissement des règles applicables : la tendance est de multiplier l’éventail des lois potentiellement applicables, et ce pour assurer si possible la validité formelle du testament.

En particulier, un testament est reconnu valable quant à la forme s’il respecte (notamment) les exigences de la législation successorale de la résidence principale du testateur, ou de sa loi nationale, ou encore du lieu où le testament a été établi.

Exemple :

Si le défunt de nationalité américaine laisse un testament rédigé dans la forme américaine (dactylographié avec deux témoins) alors qu’il résidait en France (ou en Suisse) : 

• le testament de ce type n’est pas reconnu en droit interne français (ou suisse), mais chacun de ces deux pays va néanmoins le reconnaître comme valable en la forme  s’il est reconnu comme tel par la loi nationale du défunt,

• quant au fond, il sera en revanche fait application de la loi française (ou suisse) : le testament ne sera donc exécuté que dans les limites de ce qu’autorise le droit successoral, soit plus précisément selon les parts réservataires établies en France (ou respectivement en Suisse).

Ainsi si le défunt américain et célibataire institue, dans un testament établi en la forme du droit américain, sa compagne comme seule héritière en présence d’un enfant unique : le testament sera reconnu valable du point de vue de la forme (par application du droit américain) mais la compagne ne pourra recevoir qu’une partie de la succession, soit la part disponible selon les règles du droit français (ou suisse), après respect des parts réservataires.

3. Quelle est la législation civile applicable s’agissant de déterminer les droits des héritiers en cas d’actifs situés dans différents pays?

C’est le droit civil qui est déterminant s’agissant d’établir les droits des héritiers sur le patrimoine successoral. A cet égard, la tendance en Europe est désormais de prendre en compte comme critère la loi successorale du pays du lieu de résidence principale du testateur lors de son décès. Mais s’il le préfère, le testateur peut néanmoins déclarer dans son testament vouloir soumettre sa succession à sa loi nationale (« professio iuris ») ; la Suisse apporte une restriction à cette règle en ce sens que les binationaux ayant la nationalité suisse ne sont pas encore autorisés  à soumettre leur succession à une autre loi nationale.

La loi successorale de la résidence principale a pour vocation de s’appliquer à tous les actifs, quel que soit leur lieu de situation. En particulier les biens immobiliers sont désormais soumis en principe à la loi successorale unique, celle qui s’applique à l’ensemble de la succession, alors qu’auparavant passablement de pays européens prévoyaient, par exception, l’application de la loi du lieu de situation pour les immeubles situés sur leur territoire (« lex rei sitae »).

4. Le fisc est-il lié par ces principes ou chaque pays applique-t-il ses propres règles fiscales en matière d’imposition des actifs successoraux?

Chaque pays édicte librement les règles fiscales applicables aux droits de succession prélevés lors du décès. C’est dire que tous les principes énoncés ci-dessus déterminant pour le droit civil, et notamment celui de l’application par défaut du droit de la résidence principale du testateur, restent sans aucun effet vis-à-vis des autorités fiscales.

Par exemple, la succession d’une personne résidant en Suisse sera soumise aux dispositions fiscales applicables helvétiques ; mais le droit fiscal français peut également revendiquer son application à l’occasion de la transmission de biens à des résidents français ou d’actifs (mobiliers ou immobiliers) situés en France.

Il n’existe actuellement aucune convention applicable entre la France et la Suisse permettant d’éviter les cas de double-imposition par les autorités fiscales française et suisse.

5. Existe-t-il des lois limitant l’acquisition d’un bien immobilier par un résident d’un état étranger ?

Il n’existe pas en France de dispositions légales qui limiterait l’acquisition de biens immobiliers par des personnes ne possédant pas la nationalité française.

La Suisse au contraire a adopté une législation comportant des restrictions à l’acquisition de biens immobiliers par des personnes à l’étranger, notamment s’agissant de logements (« Lex Friedrich » ou encore « Lex Koller »). Mais dans le contexte d’une succession, cette législation prévoit que la transmission d’un bien immobilier aux héritiers légaux du défunt n’est en principe pas sujette à une procédure d’autorisation préalable.

6. Règles fiscales françaises dans le cadre d’une succession franco-suisse.

En France

Il convient de souligner que les impôts dus en France sont calculés selon les règles françaises. En particulier :

• les actifs sont estimés par les héritiers sous contrôle de l’administration, à leur valeur vénale (et non la valeur cadastrale), 
• le passif déductible doit en principe exister au jour du décès.

Quels sont les actifs taxables en France ?
• si le défunt était résident français : seront taxés en France les biens situés en France et Suisse, 
• si le défunt était résident suisse : 
. le principe : ne sont taxés en France que les biens situés en France. 
. exception : si l’héritier ou légataire était domicilié en France et l’avait été au moins 6 ans durant les 10 dernières années, celui-ci sera taxé sur les biens situés en France et en Suisse. 

Dans quel délai faut-il payer les droits ? 
• si le décès est survenu en France : dans les 6 mois du décès, 
• sinon : dans l’année du décès. 

Quelles sont les sanctions en cas de retard ? 

• un intérêt de retard est dû au taux de 2,40 % / an, chaque mois commencé étant dû en totalité, 

• si les droits sont payés plus d’un an après la date du décès, une pénalité de 10 % sera due en sus.

 

Attention : si l’administration adresse une mise en demeure de déposer une déclaration et que celle-ci n’est pas suivie d’effet dans le délai de prescription une majoration de 40 % sera due.

Il convient donc de contacter le notaire français dans les plus brefs délais et de le tenir immédiatement informé des courriers reçus de l’administration fiscale. 


En Suisse
 

En Suisse les droits de successions sont prélevés par les cantons ; la confédération n’a donc aucune compétence en la matière et il n’existe pas de loi fédérale traitant de cette question.

On ne peut donc pas donner ici une réponse exhaustive, mais seulement énoncer quelques principes repris par la plupart des cantons suisses.

La conférence suisse des impôts a publié une analyse systématique des différentes législations fiscales cantonales, disponible à cette adresse : Droits de succession en Suisse.

Quels sont les actifs taxables en Suisse ?

• si le défunt était résident suisse : seront taxés en Suisse (soit dans le canton de domicile) les biens mobiliers et les avoirs bancaires, quelque soit leur lieu de situation dans le monde entier

les biens immobiliers ne sont taxés que dans le canton suisse du lieu de situation, à l’exclusion du canton de domicile du défunt.

Dans quel délai faut-il payer les droits ? 

Il s’agit de consulter la législation du canton concerné pour déterminer les délais de paiement et de présentation de la déclaration fiscale de succession. 

La plupart du temps une procédure est mise en place pour permettre le paiement d’un acompte de droits de succession pour éviter ainsi des intérêts moratoires.

Quelles sont les sanctions en cas de retard ? 

Ici également chaque canton a établi ses propres dispositions

Dominique NAZ, notaire à Douvaine

Etienne JEANDIN, notaire à Genève